The Foo must go on

avril 1, 2022

La disparition brutale de Taylor Hawkins ébranle non seulement les fidèles des Foo Fighters mais aussi, par dommage collatéral affectif, les (quelques) fans de Queen dont je fais partie.

Ce week-end, les frises chronologiques de ma petite existence ont tremblé. On a beau être prévenus, on se fait toujours surprendre par la mort comme un vulgaire amant dans le placard. Nous nous savons éphémères mais persistons à prendre chaque jour qui passe comme argent comptant. Nous anticipons, prévoyons, organisons et cotisons des trimestres sans oser se confronter au seul rétroplanning qui vaille : celui qui part de notre dernier souffle et dont devrait dépendre le moindre de nos choix.

Comme beaucoup de personnes, je présume à l’annonce de la mort de Taylor Hawkins, mes pensées ont d’abord couru vers Dave Grohl. Le roi venait de perdre son foo, son frère, son jumeau, son alter-égo. Je n’ai certes pas (encore ?) écrit la biographie des Foo Fighters mais la complicité entre les deux hommes était assez notoire pour que l’on puisse ressentir, même à des milliers de kilomètres de Bogota, l’onde de chagrin qui a du submerger le leader du groupe. Les batteurs sont des êtres sensibles, loyaux, fidèles. Il faut un paquet de tendresse et de patience pour accomplir un vrai roulement de tambour.

Qu’est ce qui, au delà de sa soudenaité et de sa brutalité, pouvait m’affecter aussi gravement dans la mort du batteur des Foo Fighters ? Après tout, voilà un groupe que j’admets avoir toujours apprécié en grande partie par procuration. Ma sympathie à leur égard s’est creusée dans le sillon de mon béguin d’adolescent pour les disques de Nirvana et pour Dave Grohl, le meilleur prof de batterie que je n’ai, littéralement, jamais eu. Je suivais la carrière des Foo Fighters avec distance et déférence, moins fasciné par leur musique que l’apparente décontraction avec laquelle ils semblaient toujours l’aborder. Alors, pourquoi et comment ce fait-divers aussi tragique que banal (un batteur retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel en pleine tournée) ricochait-il avec autant d’intensité en mon for intérieur ?

La réponse m’a été soufflée par le guitariste de Queen qui fît tourner dans l’après-midi du samedi 25 mars 2022 un hommage à Taylor Hawkins sur les réseaux sociaux. Brian May témoignait brièvement d’une forme de sidération, de déni presque face à la mort de Taylor Hawkins qui lui « brisait le coeur ». Je connaissais les liens qui unissaient depuis longtemps les Foo Fighters et les musiciens restants de Queen (Brian May et Roger Taylor, le guitariste et le batteur de Queen, étaient souvent invités à jouer aux concerts des Foo Fighters) mais l’image de Brian May en patriarche dévasté d’un clan qui venait de perdre l’un de ses « enfants bien-aimés » m’a, à mon tour, brisé le coeur. J’étais triste à l’idée que Brian May soit triste. Je réalisais que mon nom figurait sur le faire-part de décès de Taylor Hawkins, quelque part dans la liste infinie des membres imaginaires de la famille de Queen.

Plus tard dans la soirée, les frises chronologiques reprennent doucement leurs places initiales. Un ami m’envoie le lien de la vidéo de ce qui restera comme étant l’ultime performance de Taylor Hawkins. Je découvre alors, abasourdi, le batteur des Foo Fighters en train de chanter allégrement et vigoureusement Somebody to Love de Queen, l’histoire d’une personne qui « meurt un peu chaque jour » , qui « tient à peine sur ses pieds » , qui « travaille jusqu’à se briser les os » et qui implore le ciel de lui « trouver l’amour » . Tels sont les derniers mots, enlevés de la bouche de Freddie Mercury, que le batteur des Foo Fighters aura prononcés en public. J’y vois une certaine consolation, un début d’explication à un événément qui, à priori, n’en a pas. Les musiciens partent, les chansons restent. Comment dit-on déjà en anglais : « le spectacle continue » ?

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